Je ne compte plus les jours depuis le début du confinement. Cette période est pour moi un tel moment de bonheur, et le bonheur ne se mesure pas. Il emplit chacune de mes bronches et apaise les voix qui hurlaient contre la maudite routine du métro, boulot, dodo.

           Je fais partie des chanceux. Aucun de mes proches n'est pour l'instant touché. Je savoure donc ce moment délicieux où l'on me demande de rester chez moi, et où je n'ai qu'à m'assurer que ma mère ne commettra pas d'imprudence en décidant d'aller prendre l'air.

           En attendant, je passe le temps avec mon mari.
Nos emplois du temps étaient tellement chargés jusqu'ici : travail le soir pour lui, travail le jour pour moi. Sorties entre amis, famille le week-end. Nous avions si peu de temps pour nous. Je crois que tous les couples vivant ensemble ont un jour cette révélation : dès lors qu'ils partagent le même logement, le temps qui leur appartient réellement se réduit à peau de chagrin.
Aujourd'hui, pour la première fois depuis longtemps, nos journées et nos nuits nous sont totalement consacrées. Et quel plaisir de se redécouvrir !

           En ce moment-même, il travaille face à moi. J'adore son regard lorsqu'il est concentré: ses yeux noirs, ses cils de velours, et ses sourcils froncés, sérieux, qui assombrissent encore un peu l'ébène de ses iris. J'ai souvent du mal à sonder ses pensées, et j'aime cela. J'aime me dire qu'il a encore tant de choses à m'apprendre sur lui et sur les mouvements de son âme. Je sais que comme moi, il est fait de douleur et d'espoir. Je sais aussi que contrairement à moi, il se laisse moins porter par les rêves que par ses projets.

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