Journée de mars, grisaille de banlieue.
Une pellicule de routine encrasse le mécanisme de mon existence, à l’image des fines particules qui attaquent à chaque instant la merveilleuse machine de nos poumons. Sur les tons neutres et sales des rues, du bitume et des bâtiments, même les rayons de soleil ne parviennent pas à créer de la lumière.
Ici comme ailleurs le temps passe mais nul ne le voit. Les heures se ressemblent et les astres qui rythment la vie des hommes depuis des millénaires sont dévorés par les silhouettes menaçantes des immeubles, ceux-là même qui dévorent tout : du bleu azur d’un ciel d’été au bleu roi du crépuscule – jusqu’aux hommes et aux femmes et aux enfants qui s’entassent dans leurs entrailles de béton.
Dans la monotonie des rues, ils ont essayé de mettre de la couleur sur les murs.
Ce n’est hélas qu’une pâle imitation de la palette des éléments, si riche et profonde. Mais sur le gris du béton, sur la pesanteur de nos matériaux imparfaits, comment obtenir la lumineuse beauté d’un bourgeon naissant et plein de promesse ? Là où l’Homme se renferme derrière des murs sans ouverture, comment imaginer le rose exultant de la pivoine qui s’offre aux regards sans pudeur aucune ?
Je crois que c’est cette triste grisaille qui enkyste mon âme.
Je sens à l’intérieur de moi les mots qui grattent, les idées qui fourmillent. Je les sens parcourir les spirales de mon cerveau et caresser l’envers de ma peau. Mais le monde dans lequel je vis ne laisse pas de place au merveilleux. Tout ici n’est que violence et rancœur, plaintes et colère. Alors, lorsque je crois enfin venu le moment de laisser la magie des mots agir, ils se retirent comme l’eau d’une rivière asséchée par le soleil brûlant.
Quelle frustration.