Une-Rose-sur-la-Lune

Pensées & réflexions en bataille.

Mardi 5 avril 2016 à 21:34

         La maison où je vis a une longue histoire. C'est en partie pour cela que ma mère a convaincu mon père de l'acheter.

         Nous ne savons rien de ceux qui nous ont précédé ici, si ce n'est les quelques témoignages qu'ils ont laissé derrière eux. D'horribles papiers peints aux couleurs criardes tapissaient les murs des chambres d'enfants qui avaient certainement grandi dans les années 1970. Une armoire si grande qu'il était impossible de la faire sortir de la chambre parentale. Comme elle nous a fascinées, ma soeur et moi! Sans vraiment comprendre notre sentiment, nous nous trouvions face à cet immense meuble, lié pour l'éternité à cette maison, ultime témoin des propriétaires précédents. Un jour, en essayant de dépoussiérer le haut de cette armoire, ma mère a trouvé de vieilles coupures oubliées là. Elles avaient l'odeur du temps passé, celle d'une époque que nous ne comprendrons peut-être jamais totalement, pour ne jamais l'avoir vécue.

         Notre maison est chargée de souvenirs qui nous sont étrangers, mais aussi de ceux que nous avons semés au cours de ces quinze dernières années. Les joies et les éclats de rire, les départs et les cris, les pleurs et la mort. Nous avons laissé notre empreinte ici, et chaque recoin nous est désormais familier. Je me souviens bien du jour où nous sommes arrivés. La maison me semblait grande, et j'avais l'impression de n'être qu'une étrangère. Mais notre famille a rempli les pièces vides, elle a vécu et marqué cet endroit, aujourd'hui, il est plein de nous même si nous n'y sommes plus si nombreux.
Lorsque je vois le salon vide, je retrouve mon père assis sur son fauteuil, à la fin d'une longue journée. Je l'entends parler de tout et de rien, et je me surprends à soupirer parce que son monologue m'empêche d'écouter ma série. Comme ces instants me manquent, maintenant que le silence s'est fait !
Quand je regarde par la fenêtre, mon regard se heurte à ce grand trou dans le jardin. Autrefois, il y avait un arbre dans lequel ma soeur et moi passions l'après-midi; un jour, il a fallu le couper. Même aujourd'hui, son ombre est toujours présente dans cette petite allée, et l'écho de nos rires revient de loin.
Parfois, je monte à ce deuxième étage que nous n'utilisons plus. La chambre de mon frère, celle que nous aurions tous voulu avoir; la plus haute et la plus grande, celle qui assurait le plus d'autonomie. Le bazar qu'il y avait installé n'est plus, même si cette pièce n'a jamais réussi à retrouver un semblant d'ordre.
Enfin, je vois ma mère. Celle qui est restée, qui donne vie à tous ces souvenirs. Celle qui a porté cette demeure comme elle tenait notre famille: luttant chaque jour pour la laisser propre et accueillante, soutenant mon père dans les moments de doute, tentant d'éduquer trois enfants au caractère aussi bien trempé que le sien. Ses colères terribles, son ironie mordante qui lui donne la force de tout supporter. Son parfum qu'elle met tous les matins de la même manière. Après s'être parfumée, elle ne peut s'empêcher de caresser la tête du chien, ce qui laisse une odeur dans son poil. Ses livres traînent partout, tout comme ses tasses de thé.

        Oui, ma mère continue d'emplir cet endroit de vie, envers et contre tout. Mais un jour, les souvenirs pèseront plus lourd sur la balance. La maison sera trop pleine de nous, et ma mère ne pourra plus lutter. Et l'armoire verra venir une nouvelle famille, prête à ajouter sa part de vie.

Vendredi 1er avril 2016 à 20:55

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Tombée du jour.
 
          Son étendard flamboyant s'abaisse; il ploie devant le soir qui vient. Les couleurs s'atténuent, le monde se fige. Bientôt tout sera sombre. Les traits de toute forme se noieront dans une mer d'obscurité. Qui pourra distinguer l'arbre de la nuit ? Puis le silence viendra, engloutissant à son tour les sons, les dévorant pour devenir toujours plus épais, toujours plus lourd. Au plus noir de la nuit plus rien ne semblera vivre. Et pourtant.Pourtant tout sera encore là, et peut-être la lune viendra-t-elle caresser de sa lumière ce monde endormi. Qui sait si une brise légère ne fera-t-elle pas frémir quelque feuillage assoupi ?

         Car dans le silence de la nuit, tout respire. C'est ce souffle que nous entendons, comme lorsque nous fermons nos yeux et nous concentrons sur notre respiration. Dans l'obscurité, dans l'inanition, le monde s'entend à nouveau. Il prend conscience de lui, il est enfin.

          La nuit rend au monde sa grandeur. C'est pour ça que l'homme a fait la ville: il s'est créé un environnement toujours plus petit, toujours plus éclairé, sans cesse animé. Son monde est "humain", il peut le mesurer et le contrôler. New York, Paris, Tokyo, et tant d'autres qui brillent lorsque le soleil disparaît; comme si elles avaient peur d'arrêter de vivre, peur que le temps ne vienne prendre son dû.
          Dans le silence et l'obscurité, l'homme prend conscience qu'il est petit; ses constructions tomberont parce qu'il ne connaît ni le secret des racines des montagnes ni celui celui qui fait se dresser les arbres. Il retrouve ce lien avec cette Mère terrible et aimante malgré tout. Celle qui l'a créé et l'entoure, qui supporte ses bêtises d'enfant parce qu'il n'a pas encore grandi. C'est le dernier né, qui se croit pourtant plus avancé que les autres. Il n'a pas compris qu'il passerait, comme tout. Il se croit éternel.

 
Et la nuit sourit.
Dans le néant, elle redonne à l'homme le courage de lutter pour maintenir tant bien que mal ce qu'il a établi.
Elle sait que la fin viendra bien assez tôt.


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